Compte rendu de la conférence de Jacques Gélis (Amis du Château de Dourdan) du 2 février 2008 reconstitué à partir de notes prises par Y. & J. Willeput |
Jacques Gélis est professeur émérite à Paris Sorbonne. Il fut titulaire de la chaire d'histoire de la ruralité sous l'ancien régime et est actuellement président d'Etampes Histoire et administrateur des Amis du Château de Dourdan et de la Société Historique de Dourdan. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la naissance en milieu rural (en particulier: Accoucheur de campagne sous le Roi Soleil. Le traité des accouchements de Guillaume Mauquest de La Motte IMAGO ed.). Les membres qui désireraient en savoir plus peuvent consulter le n°249 de Généalogie Magazine, on y trouve en particulier (p.14) un paragraphe sur la fameuse pierre d'aigle (à la bibliothèque du Cercle) |
PROLOGUE |
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Il est important de se mettre dans les mentalités de l'époque, sinon les pratiques logiques dans les structures mentales de la période étudiée nous paraissent bizarres et magiques. Les gens de ces époques avaient une conception circulaire de la vie. La mort était un phénomène physiologique qui avait un rite de passage vers un autre monde. Les défunts attendaient en terre une résurrection et imprégnaient par leur présence le lieu d'inhumation et y déposaient des graines source de nouvelles vies. Les adultes d'autrefois se situaient donc entre deux mondes et l'enfant était le chaînon essentiel car dépositaire de la vie. On se marie pour avoir des enfants (précepte de l'église) mais aussi pour assurer une rente de vieillesse lorsque les forces viendront à décliner. En outre, nos ancêtres ruraux avaient une conception différente du corps bien qu'une rupture se fasse dans ce concept au cours d'une longue évolution entre le XVI et le XIXe siècle. Ils avaient la sensation d'avoir deux corps : l'individuel et le grand corps de la lignée d'où un monde inter générationnel plus solidaire. Ceci explique les séquences et répétitions de prénoms ce qui permet de pérenniser la famille à travers l'enfant. De même, ceux qui avaient besoin de s'expatrier pour pouvoir survivre (maçons de la Creuse, scieurs de long...) éprouvaient le besoin, la vieillesse ou la maladie venant, de revenir au pays pour y mourir . La médecine pratiquée à cette époque est une médecine analogique. Ainsi le corps de la femme est mystérieux pour l'homme et lui fait même peur. Par analogie, le corps féminin est considéré comme un étui, un tube voire un four (allusion à la matrice où va mûrir l'enfant), ceci explique certaines expressions populaires : en Berry on dit d'un enfant pas très dégourdi qu'il est mal cuit. On donne (soit prescience ou constat du comportement animal) une importance particulière, au moment de l'accouchement, au cordon et au placenta. |
Le personnel médical était très succinct quant au nombre et à la qualité. Le médecin prescrivait une ordonnance mais n'auscultait pas. Le chirurgien, bien que placé beaucoup plus bas dans l'échelle sociale, avait un niveau de connaissance médicale plus élevé: sa pratique lui faisait connaître le corps avec la technique de la palpation.
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LA CONCEPTION ET LA GROSSESSE
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Le fait d'avoir un enfant par an est une légende. On se mariait tard en milieu rural : 25 à 26 ans pour les filles, 27 à 28 ans pour les garçons. La femme avait donc une période de fertilité d'environ 15 ans (la puberté était plus tardive et la ménopause plus précoce à ces époques). De plus, la mère allaite durant deux ans son enfant ce qui provoque des perturbations du cycle de l'ovulation. Il n'y avait pas ou peu de rapports sexuels durant l'allaitement (recommandation de l'église). Le couple ne pouvait donc compter que sur 7 à 8 enfants. |
Un enfant sur quatre mourait avant les deux premières années et sur ceux restants, 1 sur deux n'atteignait pas 20 ans. Si l'on ajoute les guerres, les épidémies et les famines, un couple arrivait péniblement à avoir deux à trois enfants en âge de fonder à leur tour une famille. à ces époques nos ancêtres, en milieu rural, n'étaient pas tentés par un quelconque moyen de contraception. Pour des raisons d'économie, le nouveau couple s'installait chez l'un des deux parents. |
Si au bout de deux à trois ans, il n'y avait pas de conception le couple s'inquiétait. La femme (car évidemment elle est seule responsable !) partait alors dans la nature en quête de graines d'enfants. Elle se frottait sur des menhirs ou des dolmens (on avait remarqué que de nombreuses sépultures existaient près de ces monuments). Il y avait donc dans les environs une grande concentration de ces graines d'ancêtres(voir le prologue). Elle pouvait se frotter également sur le tronc de chênes sacrés (nous verrons plus loin la raison) ou bien se baigner dans des fontaines miraculeuses. La stérilité du couple était considérée comme une malédiction divine car le corps de la lignée était brisé. Dans certaines régions la femme qui ne pouvait avoir d'enfant était considérée comme verrouillée, elle allait alors en pèlerinage comme à St Léonard de Noblat (Limousin) pour vénérer le célèbre verrou, attribut de ce saint. |
Lorsque la femme était enceinte les rapports sexuels continuaient, malgré les interdits
de l'église et les réticences des médecins. Ceux- |
On ne connaissait pas très bien le terme de la grossesse car on utilisait les deux calendriers que la nature fournissait : la position du soleil et les phases de la lune: le temps de grossesse était donc déterminé en mois lunaires. La femme enceinte (on disait grosse) avait une grossesse difficile car elle continuait à travailler dur et son alimentation était carencée (de nombreuses futures mères perdaient leurs dents) et comme corollaire le rachitisme des enfants était très fréquent. Les fausses couches étaient relativement importantes et elles étaient considérées comme un échec catastrophique. Les cas de naissance dans les champs n'étaient pas rares. Beaucoup de recommandations entouraient la future mère : elle ne devait pas regarder de spectacles impressionnants car l'enfant pourrait prendre peur, ne pas regarder un lièvre, ne pas promener ses mains sur son corps. Pour avoir un garçon, elle devait se lever du pied droit.
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LA NAISSANCE
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Bien entendu, les femmes accouchaient chez elles. Dès les premières douleurs, on appelait la matrone. La sage femme à qui on avait donné une petite formation opérait seulement dans les bourgs et les villes. La matrone devait avoir eu des enfants et ne plus en avoir à élever. En conséquence, elle devait avoir un certain âge. Mais ceci était valable dans la moitié nord de l'Europe, dans la partie sud elle était plus jeune mais l'obligation d'avoir eu des enfants perdurait. Le collège des matrones était élu par les femmes du village ou du hameau, le curé désignait dans ce collège la matrone de la communauté. Elle devait savoir ondoyer, et prêter serment de ne pas divulguer des secrets familiaux. Bien entendu, de par son autorité morale, elle a la confiance des habitants du village dont elle a par ailleurs mis au monde les trois quarts des habitants. En plus de cette fonction, elle assure également la toilette des morts. Le fait d'assurer les deux extrémités de la vie lui confère, après le curé, le rôle de personne clé de la communauté. |
Juste avant l'enfantement, la maison était soigneusement close dans le but d'entraver
toute entrée d'esprits malins et le chauffage poussé au maximum (allusion à la matrice- |
Le moment venu, la future mère, qui se repose couchée entre deux contractions (le lit est recouvert d'une vieille toile afin d'éviter toute souillure), s'assoit sur le bord d'une chaise la matrone à genoux en face d'elle. Dans certaines régions (Alsace électorats Allemands) on utilise une chaise percée. Dans d'autres (Bretagne), la femme est debout se tenant à la cheminée par exemple. Mais le plus souvent, la future mère est accroupie, à genoux voire même à quatre pattes la fatigue venant. Cette dernière position est prohibée par l'église et provoque l'hire du corps médical car elle est jugée animale. De toute façon, cela se déroulant entre femmes, aucune d'entre elles n'ira dévoiler cette façon de faire. De fait, une grande liberté est accordée à la femme afin d'atténuer sa souffrance. Avec l'expérience, un nombre non négligeable de matrones est capable de résoudre des complications, elles peuvent par exemple retourner un enfant dans l'utérus, en cas de présentation par le siège. Elles étaient même capables de pratiquer certaines réanimations de l'enfant: enlever des glaires dans le larynx, souffler dans la trachée à l'aide d'une plume pour pratiquer une respiration artificielle voire des massages cardiaques. |
Lorsque l'enfant est dans un état de mort apparente, le cordon n'est pas coupé et le placenta est réchauffé dans du vin dans l'espoir d'une perfusion qui ranimerait l'enfant. S'il est vraiment très mal, l'ondoiement est pratiqué par la matrone, ce qui confère à cette femme un rôle d'auxiliaire de l'église (d'où son serment devant le curé). L'enfant entre alors dans la communauté avec son prénom Pour bien comprendre cette pratique, il faut se souvenir que le baptême, acte sacramentel, ne peut être très stricte car ce curé risque de gros problèmes avec son évêque. |
Avoir un enfant mort- |
En cas de nouvelle naissance, l'enfant portera le prénom prévu pour son aîné disparu.
Cependant il arrive que l'on ruse, bien que cette pratique soit réprouvée par le
Vatican, en amenant le petit cadavre dans un Sanctuaire à Répit dédié à la Vierge.
Il est placé, nu, sur le marbre froid de l'autel au milieu d'une multitude de cierges
et l'on attend avec tout un rituel que la grâce de Dieu intervienne. Généralement
celle- |
Si tout se passe bien, les femmes présentes s'occupent de l'enfant. Le cordon est coupé plus long pour le garçon que pour la fille. Le bout du cordon solidaire du placenta est attaché à la cuisse de la mère. L'enfant est frotté pour enlever l'enduit sébacé et quelquefois baigné puis emmailloté et placé près du feu. La matrone pendant ce temps veille à l'expulsion complète du placenta. Tout un rituel entoure ce placenta, ainsi on en barbouille les seins de la mère et le visage de l'enfant, quelques fois on en fait cuire un petit morceau dans un bouillon de poule donné à la mère. Dès l'expulsion complète, la première tétée est donnée à l'enfant. On retrouve toute une symbolique autour de ce placenta: il ne doit pas être plongé dans l'eau ni brûlé car l'enfant serait inexorablement victime d'une noyade ou d'un incendie. Sorte de frère jumeau de l'enfant, il doit retourner à la terre et il est enterré au pied d'un arbre dédié, généralement un chêne, qui devient de ce fait sacré source de fertilité (voir prologue).
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CONCLUSION |
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Nous sommes certes interloqués devant ces pratiques car nous jugeons avec nos connaissances et notre savoir faire. Nos ancêtres avaient leur logique souvent plus profonde que la nôtre. Il n'est pas permis à l'historien de juger, sa seule mission est de comprendre en se mettant dans les conditions de l'époque . |